Le Mahamoudra (ou « Grand Sceau » en sanskrit) est l’une des plus hautes pratiques de méditation dans le Bouddhisme Tibétain. Voici la transcription en français du dernier enseignement public donné par Kalou Rinpotché, dans la ville de Los Angeles, quelques semaines avant son décès au printemps 1989.
« J’ai beaucoup de chance d’être parmi vous ce soir dans cette ville de Los Angeles, d’être parmi de nombreux amis, dont j’ai déjà rencontrés certains auparavant. Cela me fait très plaisir de vous parler ce soir du Dharma, l’enseignement du Bouddha.
Nous tous avons le très grand privilège d’être nés en qualité d’êtres humains en ce monde. Nous possédons tous l’intelligence et le contrôle de nos propres actions. Nous savons la différence entre actes vertueux et actes négatifs. Et ceci est une situation extrêmement favorable.
Nous avons dans ce monde deux formes de Dharma. Le premier de ceux-ci est ce que l’on appelle la vie mondaine (ou vie ordinaire). Tous les êtres, qu’ils soient humains ou animaux, ont tous des activités « ordinaires ». Les poissons et autres êtres qui vivent dans les mers nagent en permanence et recherchent de la nourriture. Les insectes et tous les animaux sur terre sont occupés à se déplacer pour trouver de la nourriture. De la même façon tous les êtres développent chaque jour une telle activité - que l’on pourrait qualifiée de « mineure » ou « ordinaire ». Et nous, les êtres humains, avons nous aussi une telle vie « mondaine » ou « ordinaire ».
(…)
Maintenant, la seconde forme de Dharma est ce que l’on appelle le « Précieux Dharma » ou « Saint Dharma ». Cette pratique spirituelle est quelque chose qui nous est bénéfique au cours de cette vie. Il permet à notre esprit de rester calme, et il lui permet d’être heureux. Nous pouvons ainsi développer, éduquer notre esprit par cette pratique religieuse, la pratique du Dharma.
Toutes les religions n’ont qu’un seul but…
Non seulement la pratique spirituelle nous est utile en cette vie, mais elle le sera aussi dans les vies futures pendant lesquelles nous pourrons évoluer et nous développer à travers notre pratique du Dharma, jusqu’à ce que nous atteignions l’éveil ou illumination, c’est-à-dire la bouddhéité. C’est pourquoi nous appelons ces enseignements le « Saint Dharma ». « Saint » est un mot qui pourrait aussi être défini comme « suprême ». C'est-à-dire qu’il implique une notion beaucoup plus grande et plus parfaite que celle du dharma mondain, ordinaire.
Il y a plusieurs centaines d’enseignements religieux disponibles que dispensent en ce monde l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Christianisme, le Judaïsme, l’Islam, etc. (…) Maintenant le point commun enseigné parmi toutes ces religions est la recommandation fondamentale consistant à ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas avoir de mauvaises paroles agressives ni d’actions qui puissent avoir des conséquences néfastes pour les autres êtres vivants. Abandonner les actions qui puissent créer de la souffrance immédiatement aux autres, et, finalement, à soi-même, tout ceci est quelque chose de commun à toutes les religions, et c’est pourquoi elles sont toutes extrêmement utiles.
Si vous me demandez qu’elle religion je pratique… Je suis une personne qui a foi en toutes les religions, et je suis quelqu’un qui prend plaisir dans les pratiques de toutes ces religions. Cependant, ma pratique spirituelle personnelle est le Bouddhisme.
Le mot « Bouddhisme » au Tibet signifie simplement « religion intérieure ». Quand on dit que nous sommes « Bouddhiste », cela signifie que nous sommes une personne « intériorisée ». On peut comprendre par là que le corps est externe alors que notre esprit, lui, est interne. La religion du Bouddha, la religion que je pratique, est une façon particulière d’aider l’esprit. C’est pourquoi on se réfère à soi-même comme une personne intériorisée – nous qui sommes concentrés sur cette chose se trouvant à l’intérieur de nous-même, et que l’on appelle l’esprit.
Entraîner son propre esprit
La personne qui a enseigné cette religion de l’intériorité est le Bouddha, un être parfaitement éveillé qui a initialisé la pratique du Bouddhisme six siècles avant le Christ. Or l’intégralité de cette religion peut être résumée en quatre lignes :
Les deux premières lignes signifient : « Chacun doit abandonner les actions négatives, et chacun doit développer la vertu ». Ceci est comme un enseignement que l’on pourrait qualifier d’ « externe » ou d’« extérieur », ce qui est absolument essentiel à toute pratique religieuse. Toute action négative, ou préjudiciable, crée douleur et souffrance aux autres, et finalement à soi-même. Par contre, toute vertu qui est bénéfique aux autres produit aussi du bonheur pour soi-même. Ceci est le premier enseignement essentiel du Bouddha.
Et maintenant les troisième et quatrième lignes : « On doit soi-même éduquer complètement son esprit ». Ceci est un enseignement central du Bouddha. Ainsi l’attention sur notre pratique de la « religion intérieure » concerne notre propre esprit, et ce dressage ou entraînement de l’esprit est le cœur même de l’enseignement du Bouddha.
Corps, Parole et Esprit
Si vous voulez faire une analyse superficielle de ce qu’est un être humain, il faut tout d’abord constater que nous avons tous un « corps » humain. Nous sommes capables de parler et de communiquer. Et nous avons un esprit. Avec cet esprit nous décidons où nous allons, où nous allons nous asseoir, ou encore ce que nous allons faire, etc. Et ainsi, ces trois choses : corps, parole, esprit, nous caractérisent comme êtres humains. Peut être ces trois choses sont unifiées, peut être ne le sont-elles pas, quoi qu’il en soit nous tous sommes des êtres humains et nous avons les trois.
Le plus important de ces trois éléments est naturellement l’esprit. Nous devons entraîner notre esprit. Sans aucun entraînement de celui-ci nous faisons des choses qui sont nuisibles aux autres, et, finalement, ceci aura pour résultat notre propre souffrance. Par contre si nous sommes capables d’éduquer notre esprit ceci ne peut qu’être bénéfique à nous-mêmes et être une aide pour les autres. Cette pratique de la vertu aura finalement pour résultat notre propre bonheur.
Nous devons commencer par reconnaître à quoi ressemble notre esprit. Une fois que nous avons fait cela et reconnu l’esprit, on doit commencer à méditer. Et une fois que nous avons commencé à méditer on doit poursuivre notre pratique afin d’être capable de reconnaître et d’éduquer parfaitement notre propre esprit.
La plupart d’entre nous n’avons aucune idée de ce qu’est l’esprit. Son état nous est parfaitement inconnu. Nous nous bornons à penser « J’ai un esprit. Je suis ». Mais à part ces quelques réflexions, nous ne nous tournons vraiment pas vers notre esprit. Nous ne l’examinons pas, et, du coup, nous ne nous connaissons pas.
Ainsi, tandis qu’il est important pour nous de comprendre le Dharma – ou enseignement spirituel dans le Bouddhisme – le point central de tous ces enseignements est de bien comprendre la nature de l’esprit. Quand nous avons compris, quand nous avons reconnu la nature de notre propre esprit, les enseignements spirituels du Bouddhisme et de toutes les autres religions sont alors naturellement bien compris.
Vide, clarté, conscience
(…) Il y a trois choses qui, regroupées, représentent ensemble la nature de l’esprit.
Tout d’abord, la nature de l’esprit proprement dite est que son essence est vide. L’esprit est vide comme l’espace, comme le ciel. Si l’esprit avait une forme, celle-ci serait carrée, triangulaire ou circulaire. Et s’il avait une forme celle-ci aurait une certaine couleur… qui serait blanche, jaune, rouge, bleue ou verte. Cependant, rien de ceci n’existe. L’essence de l’esprit est vide.
Le ciel est vide, l’espace est vide, une maison ou une pièce peut être vide, mais rien de ceci n’est l’esprit. Un autre aspect de l’esprit est sa clarté. L’espace dans une pièce est vide, mais la présence de lumières dans cette pièce peut nous rendre capable de voir d’un coin à l’autre de la pièce. Et, du coup, nous pouvons voir exactement ce qui se passe dans cette pièce. De la même façon, dans notre esprit nous avons la clarté. C’est ce qu’on appelle la nature de l’esprit. Ce vide a la qualité de la clarté. Et ceci nous donne l’habilité de « comprendre » et de « savoir ».
L’espace dans une pièce, comme celle où nous nous trouvons actuellement, est vide, et il peut y avoir des lumières comme ici. Cependant cet espace particulier en lui-même n’est pas l’esprit. Ce n’est pas l’esprit parce qu’il n’y a là aucune conscience. Et ceci est la troisième particularité qui façonne l’esprit. Nous trouvons une conscience continuelle dans l’esprit. Et c’est cette conscience qui nous donne la capacité de savoir, par exemple, si cette couleur est blanche, jaune ou rouge, etc. Ces pensées ou cette conscience est la troisième qualité de l’esprit.
Ainsi l’essence de l’esprit est vide,
sa nature ou qualité principale est sa clarté,
et il possède une conscience continuelle, sans entrave.
Nous tous, les Hommes, possédons un tel esprit marqué par le vide, par sa clarté et par sa conscience.
Maintenant, prenons le cas de l’Amérique et de la Chine, qui sont situées très loin l’une de l’autre, et entre les deux il y a un grand océan et beaucoup de montagnes, beaucoup de nuages – une incroyable distance ! Si notre esprit avait une quelconque substantialité, il nous serait impossible, d’ici, d’imaginer la Chine. Et nous serions confinés dans notre expérience spécifique. Cependant, même si la Chine se trouve extrêmement loin, nous sommes pourtant capables en un bref instant de créer l’image de la Chine dans notre esprit. Ceci est un bon exemple du fait que l’esprit est vide, comme l’espace, et qu’il n’y a rien du tout qui puisse obstruer son activité.
L’esprit possède aussi la clarté. Si nous n’avions pas de clarté dans l’esprit, ceci reviendrait à une absence de soleil et de lune, ou à une épaisse couverture de nuages qui en obstrueraient la vue. Cela reviendrait à une obscurité totale, s’il n’y avait ni soleil ni lune, ce qui nous empêcherait alors de nous repérer à la surface de la terre.
Si nous possédons uniquement le vide et la clarté, par eux-mêmes ceux-ci ne peuvent nous être d’aucun bénéfice. Nous devons avoir aussi une conscience et un savoir. Et lorsque nous créons cette image de la Chine dans notre esprit, nous sommes alors capables de reconnaître que ceci est une ville, ceci un océan, et cela une montagne. Nous sommes conscients et capables de reconnaître les différents détails de l’image que nous avons créer dans notre esprit. Ensemble, ces trois choses ont pour résultante l’esprit : vide, clarté et conscience.
Nous tous, tous les êtres vivants ont cet esprit. Et la nature de notre esprit est exactement la même pour tous. Cependant, les apparences qui s’élèvent de l’esprit peuvent être différentes d’une personne à une autre. A travers l’accumulation d’actions vertueuses dans le passé, nous avons le grand bonheur de bénéficier d’une existence humaine. De la même manière, certains êtres donnent l’apparence de vivre dans les enfers, d’autres errent comme des fantômes continuellement affamés, ou encore vivent dans le monde animal. Toutes ces apparences variées proviennent de la confusion de notre propre esprit. Toutes ces confusions trouvent leurs racines dans les différentes formes de karma (que nous pourrions brièvement traduire par « destinées ») que nous avons accumulées, soit sous la forme de bon ou de mauvais karma, au cours de nos vies passées. Et ceci crée toutes sortes d’apparences qui n’existent pas vraiment en elles-mêmes. Elles sont simplement les apparences de la confusion (de notre propre esprit, non éduqué).
Los Angeles, 11 décembre 1988
Traduit de l'anglais par Neldjorpa Seunam Gyamtso
Source: http://cequiest.blogg.org/page-_kalou_r____mahamoudra___essence_de_l_esprit-987.html
Commenter cet article