Après avoir vu la nature profonde des émotions qui surgissent dans notre esprit, comment travailler avec ces émotions pour en faire un élément de transformation ? Quels sont les techniques qui nous permettent de progresser sur notre chemin spirituel ?
Différence entre les émotions positives et perturbatrices
Il n’y pas de différence de nature entre les différentes formes d’émotion, et donc il ne s’agit pas d’établir une quelconque supériorité entre les émotions positives et les émotions perturbatrices. L’attachement aux émotions positives engendre également son lot de souffrance: la frustration, l’intolérance, le rejet, ou le déni des émotions désagréables. Ainsi, en travaillant sur le détachement des émotions, comme avec les pensée, cela nous permet de faire décroître puis de faire cesser la saisie par l’ego. L’attachement est le fait de l’ego qui saisit et il faut se garder de s’attacher aux émotions, qu’elles soient positives ou négatives. Un trop fort attachement aux émotions positives renforce le phénomène de la saisie et ne permet pas de s’entraîner au détachement des émotions perturbatrices. Nous devons voir ce mécanisme de la saisie dans son ensemble, comme lorsqu’on observe ses pensées dans la méditation. Nous ne faisons pas de différence entre une pensée positive et une pensée négative. Une pensée reste une pensée, et nous essayons de ne pas la saisir, et tâchant de ne pas la suivre, de revenir à sa respiration par exemple.
Un antidote puissant
Il existe une méthode que les enseignements bouddhistes appellent « antidote ». L’un de ces antidotes consiste à trouver pour chaque émotion perturbatrice son émotion contraire. Par exemple, pour la colère, c’est l’équanimité, pour l’agacement, c’est la patience, pour la haine, c’est l’amour, pour l’avarice, c’est la générosité, pour la jalousie, c’est le non-attachement... Les extrêmes, paradoxalement, se rejoignent. Ainsi, entre l’amour et la haine, la tristesse et la joie, il n’y a qu’un pas… comme le cavalier aux échecs qui passe nécessairement d’une case noire à une case blanche à chacun de ses déplacements.
Lorsque nous voyons une émotion perturbatrice se lever en nous, nous pouvons développer son émotion contraire, comme un antidote. Ainsi, nous ne laissons pas la place à cette émotion perturbatrice de nous envahir par le fait même que nous développons son contraire. Il ne s'agit pas de refouler l'émotion, mais bien de reconnaître la première émotion qui surgit, comme un indicateur de notre état intérieur. Mais au lieu de nous laisser envahir comme nous le ferions d'habitude, nous développons une émotion qui lui est opposée, et qui agit de manière plus harmonieuse sur notre système interne. Petit à petit, nous devenons capables de transformer nos émotions à volonté, ce qui nous permet de comprendre que nous pouvons avoir une influence déterminante sur elle. Ce ne sont pas elles qui nous gouvernent, mais nous qui pouvons agir sur elles. Nous finissons par percevoir le caractère vide et sans forme de l’émotion, quelle qu’elle soit, puisque nous pouvons les générer ou les transformer à volonté.
Ainsi, dans cette même démarche, nous pouvons nous entraîner à développer des émotions positives et agréables en dehors de toute réalité extérieure. Par exemple, le sentiment de reconnaissance ou de gratitude, sans que cela soit provoqué par un stimulus extérieur nous permet de développer un espace de sérénité intérieur qui résiste à un environnement perturbateur. Ainis, il nous est possible de développer la joie, le contentement, la reconnaissance pour la vie, le sentiment d’amour, … sans objet particulier qui génère habituellement ces émotions. Avec cette méthode, nous disposons d’un outil de transformation et d’élévation spirituel extrêmement puissant.
Le fruit et l’accumulation
Les Bouddhistes appellent cette approche « le chemin du fruit », par comparaison au « chemin de l’accumulation ». Le premier chemin consiste à développer une attitude mentale intérieure comme si nous avions déjà atteint l’Eveil, comme si nous avions déjà actualisé la potentialité de Bouddha que nous avons tous intrinsèquement. Le chemin de l’accumulation consiste à accumuler des actions positives de façon progressive pour en actualiser la réalisation. Ainsi lorsque nous méditons en récitant des mantras ou en comptant notre respiration pour calmer les pensées, nous pratiquons le chemin de l’accumulation, et lorsque nous pratiquons en imaginant que nous sommes un Bouddha éveillé qui envoie de l’amour à tous les êtres sans aucune exception, nous sommes dans le chemin du fruit. En utilisant de façon consciente les deux chemins alternativement, nous pratiquons avec une grande énergie les « moyens habiles » que les Maîtres nous ont montrés pour réaliser sans obstacle notre véritable nature d’être éveillé.
Utiliser les émotions comme catalyseurs – selon Matthieu Ricard
« Pour peu que l’on sache séparer les différents aspects d’une émotion, il devient concevable de reconnaître et d’utiliser les côtés positifs d’une pensée généralement considérée
comme négative… Ainsi, la colère incite à l’action et permet souvent de surmonter un obstacle. C’est un défi que nous lancent les émotions : celui de reconnaître qu’elles ne sont pas
intrinsèquement perturbatrices, mais le deviennent aussitôt que nous nous identifions à elles et que nous nous y attachons…
Si l’on réussit à éviter cette fixation, il n’est plus nécessaire de faire intervenir un antidote extérieur : les émotions elles-mêmes agissent comme des catalyseurs qui permettent de se dégager
de leur influence nuisible.
Le but est de ne pas être la victime des émotions perturbatrices et des souffrances qu’elles entraînent habituellement. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’origine des émotions perturbatrices se
trouve l’attachement au moi.
Une connaissance et une maîtrise de l’esprit accrues permettront de traiter les émotions au moment précis où elles surgissent, pendant qu’elles s’expriment. C’est ainsi que les émotions qui nous
affligent sont « libérées » à mesure qu’elles surgissent. Elles sont incapables de semer le trouble dans l’esprit et de se traduire par des paroles et des actes engendrant de la souffrance.
Reconnaître une émotion au moment même où elle survient, comprendre qu’elle n’est qu’une pensée dénuée d’existence propre et la laisser se dénouer spontanément en évitant la cascade des réactions
qu’elle entraîne habituellement, tout cela est au cœur de la pratique contemplative bouddhiste.
Il faut
reconnaître que nous offrons une résistance phénoménale au changement… Notre inertie est profonde à l’égard de toute transformation véritable de notre manière d’être… Parce que l’ego est
récalcitrant¸ qu’il se rebiffe dès que son hégémonie est menacée…
Pourtant une fois entamé le travail introspectif, il s’avère que cette transformation est loin d’être aussi pénible qu’il y paraît… On a le sentiment d’acquérir une liberté et une force
intérieure grandissantes, qui se traduisent par une diminution des angoisses et des peurs. Le sentiment d’insécurité fait place à une confiance empreinte de joie de vivre, et l’égocentrisme
chronique à un altruisme chaleureux. »
Source : http://www.larbredesrefuges.com/t4889-les-emotions-perturbatrices
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